Matérialisme

Notre premier postulat sera le postulat matérialiste : tout ce qui constitue notre Univers, depuis la plus petite particule jusqu’aux amas interstellaires en passant par les complexités du vivant, tout l’Univers donc, n’est pas le fruit d’un dessein transcendant mais le résultat immanent des propriétés intrinsèques de la matière et du hasard des contingences. Ne voilà-t-il pas la première, la plus fondamentale et la plus formidable des libertés pour un être conscient : se savoir le résultat du hasard et ne rien devoir à un quelconque dessein supérieur ? Il n’est donc pas étonnant que ce postulat ait été nié aux humains par les pouvoirs en place à travers toutes sortes de religions lorsqu’à partir du néolithique se sont créées les premières sociétés d’importance nécessitant la soumission collective.

L’auto-organisation de l’existant

Il est un grand principe générateur par lequel se sont formées et se forment toutes les structures de notre Monde et de l’Univers, et c’est l’auto-organisation. On désigne ainsi l’émergence spontanée et dynamique d’une structure spatiale, d’un rythme ou d’une structure spatiotemporelle (se développant dans l’espace et le temps) sous l’effet conjoint d’un apport extérieur d’énergie et de matière et des interactions entre éléments. Appelées également structures dissipatives, ces structures autoorganisées assurent conversions et échanges dans le flux d’énergie et de matière, et s’auto-régulent dans un maintien instable des équilibres en fonction des variations de ce flux.

Ces structures autoorganisées peuvent elles-mêmes se grouper en super-structures, hyper-structures,… et ainsi de suite, en une complexité croissante pour une conversion maximale de l’énergie reçue. L’un des exemples les plus simples de ces structures est le vortex (tourbillon) qui se forme lorsque vous videz un lavabo. A l’opposé, l’un des exemples les plus complexes de ces structures est constitué par les organismes vivants.

Tout l’existant – amas interstellaires, galaxies, planètes, minéraux, molécules, macromolécules organiques, organismes vivants, sociétés humaines, etc. – n’est qu’imbrication de processus d’auto-organisation.

L'auto-organisation de l'Univers
L’auto-organisation de l’Univers D’après Erich Jantsch, Pergamon, 1980

L’Univers – le tout-existant – peut être vu comme une soupe bouillonnante à grumeaux. Des grumeaux – des existants – de toutes tailles, de l’infinitésimal à l’immensément grand, qui s’assemblent et se dissolvent en prélevant et restituant l’énergie, à la faveur des irrégularités condensatrices – des brisures spontanées de symétrie disent les physiciens – en l’occurrence les grumeaux de notre soupe. En zoomant sur cette soupe jusqu’au niveau infinitésimal de la physique quantique, on arrive au vide, lequel se révèle exister et n’être pas si vide mais être énergie. Comme les bulles d’un liquide en ébullition éclatent à la surface pour être aussitôt remplacées par d’autres bulles, de ce vide-énergie émergent sans cesse et s’annihilent aussitôt, particules, antiparticules, photons de lumière et champs d’espace-temps. C’est le phénomène dit de fluctuation du vide. En dézoomant on traverse les différents niveaux hiérarchiques d’auto-organisation : le vide quantique est un processus d’auto-organisation de l’espace, la matière un processus d’auto-organisation du vide, et, si l’on considère la matière vivante, les acides aminés sont un processus d’auto-organisation de la matière, l’ARN un processus d’auto-organisation des acides aminés, l’ADN un processus d’auto-organisation de l’ARN, etc… Ces structures se font et se défont au gré des flux et des rétroactions. De là naissent l’ordre, le désordre et leur lien dialectique.

Les mécanismes d’auto-organisation présents dans la Nature sont divers. Ils découlent cependant de situations présentant des caractéristiques communes :

  • des éléments en équilibre instable dans un flux d’énergie
  • des interactions entre ces éléments et entre ces éléments et leur environnement
  • des rétroactions négatives entraînant une régulation
  • des rétroactions positives entraînant une expansion

La création de structure équivaut à une création d’ordre et donc d’information, s’opposant au désordre – à l’entropie. Plus un système est structuré plus il dissipe de l’énergie et plus il accumule de l’information pour adapter sa structure et pour en dissiper davantage encore. L’astrophysicien Eric Chaisson a ainsi estimé qu’en rapport de leur masse respective, un cerveau humain transiterait 50 000 fois plus d’énergie que le Soleil.

Chaque niveau d’auto-organisation voit émerger des propriétés nouvelles, structurelles, non déductibles des propriétés du niveau inférieur.

La présence de rétroactions rend de plus ces systèmes non linéaires. D’où une grande sensibilité aux paramètres : des différences infimes dans les conditions initiales entraînent, à plus ou moins long terme selon les processus, de grands effets imprédictibles – ce qu’on appelle improprement chaos déterministe.

Les phénomènes d’auto-organisation contredisent ainsi à la fois la croyance au déterminisme des lois de la Physique et celle au réductionnisme à des lois de base fondamentales.

La pulsion de vie

Tout individu est mû par un déterminisme biologique égoïste fondamental et qu’il partage avec tout organisme vivant depuis les êtres unicellulaires les plus simples jusqu’aux hominidés : ce déterminisme est celui de sa survie et de la diffusion de ses gènes. On pourra l’appeler Conatus comme Spinoza, ou Volonté de puissance comme Nietzsche, ou plus communément pulsion vitale. Notons que c’est un déterminisme immanent conféré par les hasards de l’évolution et de la sélection des espèces : ceux des individus qui par accident n’en ont pas été dotés n’ont pas survécu et leurs gènes n’ont pas perduré.

L’organisme est en cela doté de fonctions régulant son équilibre biologique interne (son homéostasie) à partir des apports de son environnement et organisant sa reproduction. L’apparition, au fil de l’évolution des espèces, d’un système nerveux puis d’un cerveau et enfin d’un cortex cérébral permet de s’adapter à des tâches de plus en plus complexes : répondre aux variations de l’environnement, se déplacer, échapper aux prédateurs, chasser pour se nourrir, collaborer avec ses semblables, trouver un partenaire et écarter les concurrents, assurer la survie de sa progéniture, etc. Dans la logique de l’évolution des espèces le cerveau est au service du corps et de son déterminisme biologique, de sa pulsion vitale, et non l’inverse

L’objet de notre esprit est le corps et rien d’autre.

Baruch Spinoza – l’Ethique

La pulsion vitale place chaque individu en situation de concurrence, vis à vis des autres espèces mais également entre individus de la même espèce, les gènes les plus compétitifs ayant le plus de chances de se reproduire et de perdurer. La pulsion vitale recouvre donc les injonctions biologiques de base – faim, soif, se reposer, dormir,…– mais également celles de la lutte pour la survie – se cacher, fuir, montrer son agressivité, combattre,…– et celles destinées à assurer sa reproduction et à écarter ses concurrents – désir sexuel, désir de séduire, volonté de puissance, volonté de soumettre,… Et les mécanismes de l’évolution des espèces ont fait que la satisfaction de cette pulsion vitale procure les sentiments de puissance, de liberté, de joie, récompenses pour avoir vaincu une contrainte à sa pulsion vitale et avoir ouvert de nouvelles opportunités, et incitations à renouveler l’expérience.