Qualia : comment émerge l’expérience sensible consciente

Pour aussi réaliste que soit une image, vous savez que c’est une image. Vous me direz : « Normal, c’est une représentation et non l’objet lui-même ! » Mais ce que notre cerveau nous donne à voir de notre environnement est aussi une interprétation de la Réalité et non cette Réalité elle-même (cf. La représentation de la Réalité). Et pourtant, nous avons le ressenti émotionnel ineffable de la réalité de notre environnement, ce que les philosophes appellent qualia. Où se situe donc la différence ?

La différence est qu’une image n’est qu’une réception statique et ponctuelle de l’objet, alors que nos perceptions sensorielles sont des interactions dynamiques, globales, intégrées et étendues spatio-temporellement : mettant en oeuvre des boucles rétroactives, le cerveau construit, teste, et amende en continu, une représentation multidimensionnelle du réel en intégrant les informations provenant à la fois de ses capteurs, des mouvements de ces capteurs, des mouvements de l’objet considéré dans son environnement, de ses émotions et de ses données d’expérience. (cf. Le corps intermédiaire).

Si l’on vous présente une pipe véritable, les variations de lumière sur ses surfaces vous en donneront une image 3D, en même temps que des détails de perception comparés à vos connaissances vous en indiqueront la matière et le toucher, et que, avant même de la saisir, vous en imaginerez le poids et le volume dans votre main. Vous sentirez peut être aussi l’odeur du tabac imprégnant l’air qui rafraichit votre visage. Et vous vous projetterez dans son éventuelle utilisation.

Nous rejoignons ici la théorie du chercheur en psychologie Kevin O’ Regan selon laquelle le ressenti émotionnel ineffable des perceptions conscientes, est la conséquence mesurable des phénomènes suivants :

  • La richesse du réel : le monde arbore une infinité de détails dépassant largement tout ce qui peut être imaginé, ce qui distingue définitivement la perception de l’imagination. On peut en découvrir de nouveaux à chaque fraction de seconde, ce qui fait « vivre » la perception.
  • L’interaction corporelle : le fait de bouger son corps, sa tête, ses yeux, etc. modifie la perception de manière corrélée, alors qu’un monde imaginaire ne bougera pas de manière coordonnée avec le corps.
  • L’insubordination du réel : le réel lui-même bouge, vit et échappe au contrôle du cerveau ce qui marque son extériorité indépendante, contrairement à un monde imaginaire.
  • Le saisissement par le réel : le réel s’impose à nous, interrompt nos pensées et nos tâches, nous accapare. Il n’y a rien que nous puissions y faire, contrairement au contenu de nos pensées.

Référence : How to build a robot that feels (Comment construire un robot qui ressent) – J.Kevin O’Regan – Exposé au CogSys 2010 du ETH Zurich le 27/1/2010.

Il est ici important de noter que, parce qu’elles intègrent les dynamiques de notre corps et de notre environnement, nos perceptions sensorielles sont des représentations prospectives, (incorporant les différentes perspectives du futur).

Cette analyse déconstruit ce que certains philosophes appellent, après David Chalmers, « Le problème difficile de la conscience ». Notons que la plupart des neuroscientifiques l’ont dénié (ainsi Stanislas Dehaene dans son livre Le Code de la conscience – 2009). Le philosophe des sciences Daniel Dennett a d’ailleurs carrément récusé l’existence des qualia dans son livre La conscience expliquée ainsi que dans son célèbre article « Quining qualia ».

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