Introspection de l’expérience consciente
La conscience c’est ce flux ininterrompu de perceptions, de sensations, de sentiments, d’émotions, de pensées, de souvenirs, de monologues intérieurs, ce flux intime, personnel, qui nous habite continûment dès que nous sommes éveillés.

Chacun pourra en vérifier les caractéristiques essentielles par l’introspection de sa propre expérience sensible :
- Une succession de scénettes indépendantes. Le flux de la conscience ne se présente pas comme un fil continu, mais plutôt comme un film composé de courtes scénettes de quelques fractions de seconde chacune, scénettes indépendantes, s’interrompant, s’imposant, parfois brutalement, l’une à l’autre : vous êtes en train d’écouter votre interlocuteur et votre attention se porte soudain sur cet objet bizarre sur son bureau, ou sur la forme de ses lunettes ; la voix de votre interlocuteur ne vous a pas sitôt rappelé à elle qu’un mot prononcé fait remonter des souvenirs à votre esprit ; souvenirs que viendront interrompre un bruit extérieur, puis le signal de faim envoyé par votre estomac, ou le soudain rappel d’une course à faire tout à l’heure…
- Des scénettes unitaires homogènes. Chaque scénette est distincte, homogène et entière : nous ne pouvez par exemple pas avoir dans une même scénette la perception attentive d’un signal de votre estomac et l’écoute de votre interlocuteur ; l’un supplante l’autre. Et même si vous souffrez d’une rage de dents, le film de votre conscience arrivera à vous faire oublier votre douleur qui ne se rappellera à vous que par moments. Elle n’aura pas disparue entretemps mais aura simplement été momentanément écartée de votre perception consciente par d’autres scénettes, perceptions ou souvenirs.
- Un contenu sommaire. Le contenu de chaque scénette est relativement sommaire et ne comporte pas l’ensemble des perceptions que nous pourrions avoir à l’instant. Prenons une scénette où vous ressentez le vent sur la figure, entendez le bruit de ce vent et voyez l’agitation des arbres… il vous faudra focaliser votre attention et faire abstraction du reste pour discerner tel mouvement de ramure ou telles tonalités ou variations particulières du bruit. Comme si notre attention consciente ne pouvait prendre en compte qu’un nombre limité d’éléments de notre réalité de l’instant.
- Un mélange de réel et de virtuel. Le film de notre conscience comporte un montage de scénettes liées à des perceptions d’une réalité actuelle et d’autres liées à des souvenirs, des pensées, des monologues intérieurs, des rêveries… Il y a cependant une différence notable de sensation entre les scénettes liées aux perceptions actuelles de la réalité et celles liées à des souvenirs de perceptions pourtant semblables. Une différence que l’on retrouve entre notre conscience éveillée et celle du rêve, qui fait que nous ne pouvons prendre l’une pour l’autre et que nous savons lorsque nous rêvons et lorsque nous ne rêvons pas. D’abord une différence d’acuité de la perception, ensuite une différence du contrôle. Par rapport aux perceptions de la réalité du moment, le rêve, la rêverie ou le souvenir sont encore plus simplifiés, plus flous. Ils sont aussi à la fois plus évanescents et plus incontrôlés, alors que la perception réelle est plus persistante et que l’esprit peut se concentrer sur elle et en explorer les détails (se pincer pour se prouver qu’il ne rêve pas !)
- Un contrôle illusoire du flux. Nous avons l’impression de pouvoir contrôler l’objet de notre attention – pour la réalisation d’une tâche, la prise d’une décision – et ceci est vrai mais partiellement seulement. Quoi que nous fassions, quelle que soit l’importance de la tâche, nous ne pourrons empêcher notre esprit d’être interrompu par diverses perceptions étrangères à celle-ci, ou de vagabonder l’espace de quelques fractions de seconde, le temps de se rappeler un impératif ou d’évoquer quelque souvenir accessoire. Même au volant de notre voiture : nous avons tous vécu l’expérience d’arriver à destination sans avoir pris conscience du parcours, perdu que nous étions dans nos pensées, ne reprenant conscience de l’action de conduire qu’à l’occasion d’événements ponctuels, une colonne de cyclistes à doubler, un piéton se présentant sur un passage clouté, ou un obstacle nous obligeant à ralentir,…
- La rapportabilité intégrée. Nous sommes capables de nous souvenir de nos expériences et de les raconter plus ou moins précisément, mais sous une forme intégrée et discursive, gommant le fractionnement des scénettes, superposant ainsi les expériences et éliminant pas mal de détails, donnant l’illusion après coup d’une perception globale.
