Ecole d'Aristote

Critique de la raison pure

Il n’y a pas de logique à priori (c’est à dire transcendante, indépendante de l’humain) et qui exprimerait la vérité des choses. Le raisonnement logique est une construction humaine et n’est pas une garantie de vérité. Nous en décrivons ici le processus d’émergence.

L’analogie, cœur de la pensée

Nos mécanismes cérébraux résultent en la propension à établir des analogies entre les objets et les événements, puis de les généraliser en catégories, en corrélations pour enfin en tirer des causalités. (Ref. L’Analogie – Coeur de la pensée – Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander – 2013 – ed. Odile Jacob – vidéo de présentation en fin d’article).

De nos spéculations corrélatives individuelles…

Par exemple, nous tirons une poignée de haricots d’un sac : ils sont tous blancs. Notre esprit en induit alors, par analogie avec d’autres situations vécues de ce type et par généralisation, que ce sac est un sac de haricots blancs. D’où il déduira que tout nouveau tirage de ce sac donnera des haricots blancs. Et si d’aventure il lui est présenté un haricot blanc il diagnostiquera (abduction) que ce haricot provient probablement du sac précédent.

Nous savons bien, à ce stade, que ces conclusions (induction, déduction et abduction /diagnostic) sont de pures spéculations. Mais elles ont de bonnes chances d’être vraies parce qu’elles correspondent à notre expérience d’un monde où les humains conservent les haricots dans des sacs en ayant soin de les trier au préalable. Notons ici l’apparition d’une forme de causalité implicite liée à une supposée intentionnalité humaine : les haricots tirés de ce sac sont blancs parce que c’est sans nul doute un sac destiné par l’humain à contenir ces haricots blancs.

Notre logique quotidienne, que l’on pourrait croire naïve, s’exerce automatiquement, non consciemment. Elle est le fruit de notre expérience personnelle et de nos capacités naturelles d’analogie, de catégorisation et de corrélation. Elle s’inscrit dans nos capacités cognitives individuelles à la fois acquises et génétiques.

… montre d’un processus probabiliste élaboré d’inférence bayésienne…

Il s’agit pourtant là d’un processus complexe d’inférence bayésienne (estimation ou révision de la probabilité d’une hypothèse en fonction du cumul successif des observations), un processus naturel, principalement non conscient, observé chez de très jeunes enfants de 4 ans comme chez la plupart des autres primates. Il résulte du fonctionnement connexionniste et non algorithmique de notre cerveau. Le réseau neuronal de celui-ci est comme une balance équipée d’une multitude de plateaux sur lesquels la remémoration des expériences, les besoins, les événements, les observations, etc. vont la faire pencher du côté le plus plausible.

Appliqué à notre exemple, ce sac a toutes les probabilités d’être un sac de haricots blancs parce que le type de sac, son utilisation habituelle, l’endroit, le fait qu’on cultive essentiellement des haricots blancs dans la région, la vérification que j’en ai faite en tirant des haricots du sac, etc. penchent dans ce sens.

… aux logiques biaisées par la simplification sémantique

Dans l’exemple précédent, les conclusions étaient construites à partir d’une expérience globale intégrée, mais individuelle. Les capacités de communication et de conceptualisation des humains leur permettent de transformer les spéculations précédentes en procédés réguliers de raisonnement, et qui sont :

  1. collectivement enseignés et partagés
  2. conscients
  3. épurés des particularismes des situations et donc applicables à tout et en toutes circonstances
  4. dotés implicitement du principe de causalité conférant un caractère déterministe (de certitude) aux conclusions.

Comme dans ce fameux syllogisme socratique, emblématique de la rationalité :

  • Tous les humains sont mortels
  • Socrate est un humain
  • Donc Socrate est mortel

Et celui-ci nous parait bien démontrer une vérité : nous savons en effet d’expérience que tous les humains que nous connaissons finissent par mourir un jour ou l’autre, et nous n’avons aucun doute sur le fait que notre ami et humain Socrate n’échappera pas au sort commun.

Et cependant ce syllogisme, si emblématique, dont pourtant les prémisses et la conclusion sont vrais, cache déjà une incomplétude, un biais cognitif, en l’occurrence une erreur de causalité sur la conclusion : si Socrate est mortel, ce n’est pas simplement parce qu’il est un humain, c’est parce qu’il est un organisme vivant dont la pérennité toujours limitée est, de plus, soumise aux contingences de bonnes conditions de vie. La mort d’un organisme vivant est un épisode dans un processus aux interactions multiples. Condamné à mort, Socrate d’ailleurs se suicidera en avalant la cigüe : sa mort n’est pas simplement liée au fait qu’il soit mortel comme les autres humains mais à son histoire personnelle dans le contexte de son époque.

(Notons au passage que le principe de causalité est aujourd’hui abandonné par la Science au profit de lois de conservation laissant sa place au hasard (voir : En finir avec le causalisme).)

Tout syllogisme est une transcription causaliste simpliste par rapport à la complexité du réel.

Les limites du syllogisme apparaissent clairement dans cet autre exemple fameux connu sous le nom de paradoxe du menteur :

  • Épiménide dit : « les Crétois sont des menteurs »
  • Or Épiménide est crétois
  • Donc Épiménide est un menteur

Et qui aboutit à une contradiction : si Épiménide dit vrai, alors le Crétois Épiménide est un menteur ; mais alors il ne peut dire vrai…

Notons ici l’écriture syllogistique de notre premier exemple :

  • les haricots de ce sac sont blancs
  • ces haricots proviennent de ce sac
  • donc ces haricots sont blancs

Elle révèle la tautologie de toute déduction : d’un sac de haricots blancs on tire… des haricots blancs.

Les mathématiques ne sont que des représentations sémantiques

Les capacités d’abstraction des humains leur permettent de mathématiser ce syllogisme de manière à le dégager de ses origines empiriques et pouvoir l’appliquer plus aisément, plus impersonnellement, plus systématiquement, à tout autre phénomène :

( A ⊂ B ) ∧ ( x ∈ A) ⇒ ( x ∈ B )

Cette abstraction fait oublier le côté spéculatif des inférences et des prémisses. Et, de plus, en plaçant le raisonnement hors du champ matériel, dans celui des idées, en l’épurant de tout ce qui fait la complexité du réel, elle laisse croire à une transcendance de la logique, laquelle serait dès lors la manifestation objective de la Vérité et s’imposerait à l’humain.

La boucle est bouclée et nous voilà soudainement passés d’une représentation spéculative et subjective proposée par l’humain à ce qui serait une vérité transcendantale objective s’imposant à l’humain. Il nous faut vite revenir à la réalité : les règles logiques sont des constructions sémantiques humaines, basées sur des causalités spéculées et n’ont pas d’autre existence réelle que leur programmation, par l’éducation et les expériences de vie, dans nos synapses neuronales.

L’incomplétude de la logique

Pour les tenants de l’idéalisme philosophique qui n’en seraient pas convaincus, le mathématicien Kurt Gödel en a définitivement fait la démonstration en offrant à l’humanité ses fameux Théorèmes d’incomplétude lesquels disent en substance que tout système logique est soit incomplet (il y manque des axiomes et tout n’y est pas démontrable), soit contradictoire (il y a trop d’axiomes et on peut y démontrer à la fois une chose et son contraire).

Ainsi nous étions dans l’incomplétude avec le premier syllogisme concernant Socrate, et dans la contradiction avec le second syllogisme concernant Épiménide.

Les mathématiques sont et restent un outil de modélisation prospective

Les mathématiques sont aujourd’hui utilisées par les scientifiques comme un outil prospectif permettant de modéliser des phénomènes et d’en déduire spéculativement des effets observables. Et elles sont d’ailleurs adaptées en conséquence du point de vue des règles et des axiomes utilisés. Elles ne sont pas un outil de démonstration d’une correspondance quelconque avec la Réalité : cette démonstration-là ne peut se faire que par l’expérience empirique (Théorie de la vérité-correspondance).

Grâce à l’Intelligence Artificielle permettant de traiter une grande quantité de données de manière probabiliste et non algorithmique, la science d’aujourd’hui est entrée sur les territoires de la complexité bayésienne du réel.

Conclusion : la carte n’est pas le territoire

La carte n’est pas le territoire qu’elle représente. De la même façon, notre langage, nos raisonnements logiques, nos logiques mathématiques, qui nous permettent de décrire, de conceptualiser, de modéliser, nos représentations de la Réalité, ne sont pas la Réalité. Ce sont des constructions humaines qui, loin d’un monde transcendant des idées, sont au contraire bien matérialisées dans l’auto-programmation chimio-électrique de nos synapses neuronales ou dans celle de nos ordinateurs.


Comment l’analogie structure notre pensée. Présentation de leur livre par Douglas Hofstadter et Emmanuel Sander lors de l’émission « Science Publique » France Culture du 05/04/2013.
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