Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité.
Démocrite (460 – 370 AEC)
Démocrite est ce philosophe grec matérialiste qui intuita un Univers constitué de particules élémentaires insécables qu’il nomma atomes.
Quatre siècles avant notre ère, Démocrite eut aussi l’intuition des rôles conjugués du hasard et de la nécessité dans la création de l’existant.
- Le hasard est celui de l’émergence spontanée des éléments de l’existant.
- La nécessité est celle de la viabilité de ces éléments dans leur contexte.
Considérer le hasard comme source de la création nie toute intentionnalité dans cette création.
Dérangeante pour les théocrates dualistes, cette idée fut pendant les siècles qui suivirent, volontairement oubliée. Replacée aujourd’hui dans notre paradigme scientifique contemporain, elle révèle enfin toute sa puissance explicative du Monde.
« Dieu ne joue pas aux dés » (Albert Einstein)
Beaucoup croient en une dualité d’existence entre la matière et l’esprit (dualisme cartésien) ou entre le corps et l’âme. Ceux-ci rejettent le hasard parce que négateur d’intentionnalité.
D’autres croient en un autre dualisme, celui entre la matière et des Lois physiques transcendantes (dualisme kantien). Ceux-là rejettent le hasard parce que négateur de causalité.
Même de très grands physiciens n’y échappent pas. Même l’immense Einstein qui rejeta le hasard de la physique quantique. La suite prouva qu’il avait tort.
La quadrature du hasard
Comment imaginer le hasard dans un univers où toute matière interagit, ne serait-ce que par l’échange de photons ?
Facile. Le hasard c’est comme le cercle.
Il n’y a pas, il ne peut y avoir, de cercle parfait : une ligne formée d’une infinité de points de dimensions nulles à exacte égale distance d’un point dans un espace parfaitement isotrope, cela ne peut exister matériellement.
Et pourtant le cercle ou la sphère sont omniprésents dans l’Univers comme principe constructeur d’une multitude d’éléments. Ce principe traduit la symétrie des interactions ayant présidé à leur construction.
Le hasard est comme le cercle un principe constructeur de l’Univers. Il dit qu’il y a dans l’Univers plus de possibles que ne peut le décrire toute l’information pouvant être inscrite dans l’ensemble des particules élémentaires.
Le biologiste Gérald Edelman en donne un bon aperçu quand il évalue comparativement pour un humain le nombre de connexions neuronales (la matière) et le nombre incommensurablement plus grand de chemins possibles pour l’influx nerveux (les possibles) que ces connexions neuronales peuvent porter. Et qui est, dit-il, « 10 suivi de un million de zéros, largement supérieur au nombre de particules positives de l’Univers connu (10^80) ». (G. M. Edelman – Biologie de la conscience – p.32)
Le hasard c’est la non-omniscience et conséquemment non-omnipotence de l’Univers.
Le hasard signe son existence omniprésente
Mais, comme pour le cercle, le hasard pur n’existe pas. Le hasard se manifeste par :
- L’omniprésence de la Loi Normale qui révèle que l’Univers et le Monde ne sont pas déterministes ni complètement aléatoires mais probabilistes.
La Loi Normale correspond au « pipage du hasard » par les lois physiques.

- Le deuxième principe de la thermodynamique. L’augmentation inexorable de l’entropie globale correspond à la perte d’information structurelle, donc perte de causalité, et donc hasard.
Le hasard c’est ce que le Démon de Laplace ne peut prédire parce qu’unique.
Les mathématiciens Leonid Levin (1974) et Gregory Chaitin (1975) ont défini une suite aléatoire comme devant posséder un contenu informationnel incompressible.
Ce qui en clair signifie qu’une suite est aléatoire s’il n’y a pas pour la décrire de programme plus court que la suite elle-même. Par exemple :
- la suite ‘0101010101010101…’, qui est visiblement non aléatoire est descriptible en peu de mots : « répéter 01 à l’infini »,
- la suite ‘0110100101111001…’ n’est descriptible qu’avec le programme : « écrire ‘0110100101111001…’ » qui est un programme au moins aussi long que la suite elle-même.
Une suite aléatoire sera une suite complexe au sens de Kolmogorov ne pouvant être décrite que dans son infinie totalité.
Toute prédictibilité nécessite une information préalable et complète. Même l’omniscience du Démon de Laplace ne pourrait prédire une suite aléatoire au sens de Levin/Chaitin du fait de sa non définissabilité intermédiaire.
La complexité des interactions de l’Univers est telle que de telles suites paraissent tout à fait courantes.
L’Univers est chaotique et les structures avec leurs lois physiques émergent de ce chaos
Et l’on pense par exemple à tous les phénomènes chaotiques des systèmes non linéaires (voir Théorie du Chaos – Wikipédia). Ces phénomènes sont qualifiés (à tort selon moi) de « chaos déterministes » parce l’on pense que la connaissance avec une infinie précision des variables d’origine permettrait de les prédire. Oui mais voilà : matériellement l’infini n’existe pas ! Ou alors c’est le hasard au sens de Levin – Chaitin.
PS : Ce que je crois (mais il s’agit ici d’une croyance personnelle) c’est que le hasard est fondamental. Que de ce hasard émergent, par auto-organisation des structures et super-structures, et les lois physiques correspondantes. Je crois que nos lois physiques sont des contingences issues de la structuration par auto-organisation. D’où le « pipage » du hasard qui se traduit par le probabilisme des lois Normales.
L’Univers actuel n’est qu’une possibilité parmi une infinité d’autres tout aussi plausibles mais qui ne se sont pas réalisées –
Ilya Prigogine