L'humain jouet de l'effet domino

En finir avec le Causalisme

La loi de causalité, à mon sens, comme beaucoup des idées qui circulent parmi les philosophes, est une relique d’un âge disparu, lui survivant comme la monarchie, seulement parce qu’on suppose à tort qu’elle ne provoque pas de dégâts.

Bertrand Russell – « Sur la notion de cause » (1913)

Bertrand Russell pourfend ici la loi (ou plus exactement le principe) de causalité. Celui-ci dit en substance que tout effet a une cause antérieure et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Or il s’agit là de l’un des fondements les plus anciens de la connaissance (chercher et connaître les causes), de la rationalité (les chaînes causales sont comme des chaînes de déduction), de la morale (la cause détermine la responsabilité), de la religion (le monde comme cause finale divine),… Et nous raisonnons tous, simples quidams ou philosophes, en termes de causalités devant répondre à nos « pourquoi ? ». Alors ?

Eh bien, comme le démontre Bertrand Russell dans son article « Sur la notion de cause », ce principe de causalité, si communément répandu et admis, est un biais culturel, un anthropomorphisme sans réalité matérielle, abandonné depuis Newton déjà par la Science qui l’a remplacé par la dépendance fonctionnelle continue des phénomènes.

Et il se trouve de plus que, comme le suggère Bertrand Russell, ce principe de causalité occasionne des dégâts dont nous mesurons la gravité sans pour autant les lui corréler. Il alimente notamment quantité de sophismes conspirationnistes. Nous nous devions donc de disséquer ce principe de causalité en en rappelant la genèse et en dénonçant ce en quoi il ne correspond pas à la réalité du Monde pour ensuite révéler en quoi il participe aux dégâts occasionnés.

La genèse du principe de causalité

Au commencement était la corrélation…

Envols au dessus des arbres

Plus loin une volée de grands oiseaux jaillit bruyamment au dessus des arbres. Je pronostiquai la présence d’un prédateur.

Nos heuristiques de jugement (automatismes mentaux) enregistrent la récurrence de certaines séquences d’événements – 1) un prédateur s’approche et 2) des oiseaux s’envolent en criant – et généralisent par analogie ces corrélations séquentielles. Nul doute sur l’importance pour la survie de notre espèce que cette identification naturelle de régularités dans le déroulement des phénomènes du monde. Elle nous permet d’anticiper la suite des événements et de déceler opportunités et dangers – ici la présence d’un prédateur. Elle permet même à l’être doué d’intentionnalité que nous sommes d’imaginer agir sur le premier évènement d’une séquence pour faire advenir l’autre – faire du bruit pour débusquer un gibier. Et nous partageons ces capacités corrélatives et anticipatives avec nombre d’autres espèces.

Nous savons pour autant, au fond de nous mêmes, que ces corrélations séquentielles ne sont pas des certitudes – les oiseaux ne voient pas toujours leur prédateur sinon celui-ci mourrait de faim; ou ils peuvent au contraire croire l’avoir vu alors qu’il n’était pas là ; ils peuvent aussi s’envoler bruyamment pour toute autre raison comme une bagarre au sein du groupe ; et, concernant nos intentions, nos plans pour provoquer un événement désiré ne fonctionnent pas toujours… Toute corrélation séquentielle, nous le voyons, est spéculative, appliquée sur des situations jamais identiques, et nous passons notre vie à les perfectionner en les complexifiant. Ce que l’on nomme communément « l’expérience » !

… l’intentionnalité collective humaine en fit la causalité…

Comment donc est on passé de ces spéculations corrélatives au principe de causalité ? Pour étonnant que cela puisse paraître au premier abord, cela correspond au passage de l’individuel au collectif.

Individuellement, nos heuristiques de jugement enregistrent les régularités corrélatives et en infèrent nos choix et actions personnelles, rapidement, automatiquement, et même en grande partie inconsciemment. Mais lorsque l’humain planificateur, bâtisseur, doit mener des actions collectives, il doit en passer par le verbe. Il doit utiliser ses capacités de conceptualisation et de communication pour construire collectivement une représentation partagée du monde suffisamment explicative et efficiente pour permettre la consensualité dans les anticipations et décisions. Dès lors :

  • les corrélations séquentielles stochastiques deviennent des lois de causalité nécessaires (obligatoires) ;
  • le principe de causalité est érigé en modèle de fonctionnement du Monde ;
  • les « comment« , explicatifs du passé et prédictifs du futur, se déduisent de manière déterministe de ce principe par l’enchaînement logique – rationnel serions nous tentés de dire – des relations de cause à effet.

On aura noté la ressemblance avec la démarche scientifique. Le Principe de causalité et ses lois de cause à effet, sont en effet la préhistoire de la Science moderne.

… et les philosophes en firent le déterminisme causaliste théologien

Cette incertitude spéculative n’a pas empêché les philosophes, avides de donner un sens – une intention – à toute existence, de penser, à la suite de Platon, que nos causalités induites, si imparfaites, reflétaient cependant un causalisme réel, dans son essence, de l’Univers. Et que nos capacités d’attribution de causalités étaient une adaptation des espèces à la Réalité. Et d’en déduire un déterminisme causaliste essentialiste, que nous qualifierions aujourd’hui de naïf, fait d’enchaînements de causes à effets et des postulats que tout effet aurait une cause et que les mêmes causes produiraient les mêmes effets.

Aristote, dans sa conception dualiste du Monde a même conçu quatre types de causalités sensés catégoriser l’ensemble de l’Univers, matériel et spirituel.

Avec en fond l’idée d’un destin inévitable – nécessaire disent les philosophes – correspondant à la cause finale d’Aristote ou au dessein divin monothéiste. « C’était écrit ». « Mektoub ».

Les « comment » sont devenus des « pourquoi » sensés donner une signification au Monde, voire des « pour quoi » porteurs d’intentionnalité. Nos représentations du Monde sont devenues des récits, des épopées fédératrices. C’est là la manifestation de notre animisme naturel.

Notons toutefois que de nombreux autres philosophes, et aujourd’hui de savants, se sont montrés sceptiques voire ironiques sur ce Principe de causalité.

Le physicien Richard Feynman expliquant l’inanité des chaînes causales

Un causalisme encore vivace…

Les prémisses, comme les déductions, de ce déterminisme causaliste n’ont aucunement la rigueur scientifique moderne. De fait, comme nous le verrons plus loin, il n’y a pas en sciences contemporaines de Principe de causalité ni de Relations de cause à effet. Cependant de nombreux philosophes s’accrochent encore, implicitement ou même explicitement, à ce concept de causalité, possiblement influencés en cela par leur formation littéraire sur des siècles d’histoire philosophique ou parce que cela entre dans la construction de leurs concepts ontologiques sur le sens et la responsabilité. Nous allons donc nous attacher particulièrement ici à sa déconstruction, en rappelant le célèbre article du mathématicien, logicien, philosophe et épistémologue Bertrand Russell, « Sur la notion de cause » (1913).

Déconstruction du principe de causalité

Exploration phénoménologique préliminaire

Pomme sur l'herbe

Réfléchissons à partir d’un cas courant :

Une pomme tombe. Quelle en est la cause ?

  • La pesanteur ? La pesanteur est une force permanente, présente avant, pendant et après la chute de la pomme, et qui s’applique sur tout ce qui est à la surface de la Terre. Elle s’applique notamment sur les autres pommes qui ne sont cependant pas encore tombées. Et pourtant, la pomme ne serait pas tombée sans cette force : elle serait restée suspendue dans l’espace ! C’est donc bien là une cause nécessaire mais pas suffisante.
  • Le déterminisme génétique de l’arbre qui fabrique et laisse tomber ses pommes pour disperser sa graine ? Comme la pesanteur, cette cause ci est présente avant, pendant et après la chute. Mais sans elle, il n’y aurait ni pommes, ni chute de pommes ! Une autre cause nécessaire mais pas suffisante donc.
  • Le vent qui a secoué l’arbre ? Mais seules les pommes les plus mûres sont tombées. Le vent n’est pas une cause suffisante. Et puis d’autres pommes sont tombées hier, un jour sans vent. Celui-ci n’est donc même pas une cause nécessaire. Mais il a probablement avancé le moment de la chute donnant à cette pomme là et à ses gènes une autre destinée.
  • La maturité achevée de la pomme qui part alors vivre sa vie de nourrisseuse de semeurs de pommiers, humains ou bêtes ? Ce serait donner là une intention à la pomme.
  • Ou alors, plus globalement, la chute de la pomme n’est qu’une péripétie dans le déroulement de deux processus imbriqués et continus issus des hasards de l’évolution des espèces et s’entretenant l’un l’autre en ayant produit conjointement des pommiers générateurs de pommes et des mangeurs de pommes, semeurs de pommiers.
    Nous serons bien d’accord pour dire que c’est là la réponse la plus satisfaisante.

L’absence du principe de causalité en sciences…

Notre histoire de pomme nous ramène à Newton dont la légende dit qu’il conçut sa théorie de la physique classique après avoir vu chuter une pomme.

Il n’y a pas en Sciences d’événements ni de chaînes de cause à effet.

Depuis Newton en effet, les équations scientifiques se limitent à décrire les relations entre grandeurs d’un système comme par exemple l’attraction F entre deux corps de masses m1 et m2 distants de d :

F = m1 . m2 / d2

Et tous les phénomènes évoluent de façon continue par le fait de ce type d’interactions ainsi quantifiées par les Lois de la Physique.

La science contemporaine utilise même les concepts de « conservation » – conservation de l’énergie, de la quantité de mouvement, du moment cinétique,… – et de symétrie (homogénéité de l’espace-temps), marquant ainsi la continuité des phénomènes dans l’espace comme dans le temps.

La Science contemporaine ne dit plus le « pourquoi » (encore moins le « pour quoi ») mais dit le « comment ».

Observons qu’il n’y a pas de limite à cette interaction des phénomènes, juste une atténuation avec la distance et les obstacles : l’ensemble des éléments de l’Univers interagit globalement et en permanence.

En fait, ce que nous appelons « événement » est une rupture de cette continuité des phénomènes – une brisure de symétrie disent les scientifiques – causée par la non homogénéité de l’espace-temps. C’est le phénomène « chute de la cruche » qui se brise soudainement parce que ce phénomène a rencontré le sol. Nous sommes en fait sensibles à la discontinuité. Il n’y aurait pas d’événements si notre environnement était homogène. Et les causes de nos événements sont donc des brisures de symétrie. Ce qui pose la question de la contingence de ces causes. Le hasard comme générateur de causalité ?

Note : certains scientifiques utilisent toujours l’expression « Principe de causalité » mais en lui donnant une toute autre assertion, temporelle celle-là, et qui est de dire que les causes doivent précéder leurs effets. Ou autrement dit, que l’on ne peut pas remonter le temps. Ce principe a permis d’écarter certaines des solutions des équations physiques comme étant « non réalistes » de ce point de vue (voir Causalité (physique) — Wikipédia) et a conduit par exemple Dirac à considérer l’existence de l’antimatière, en lieu et place d’une matière remontant le temps.

… et sa déconstruction russellienne

Dans son article, Bertrand Russell recommande d’éliminer le concept de causalité du vocabulaire philosophique. Il se base d’abord sur ce que la Science n’utilise pas la relation de cause à effet qu’elle a remplacée par la dépendance fonctionnelle continue des éléments, avant de déconstruire les notions d’événement, de cause et d’effet, ce que nous rappelons ici à partir de notre exemple de la pomme :

  • Cet exemple, nous révèle que la Nature, le Monde, l’Univers, la Réalité,… constituent un TOUT s’auto-construisant en interagissant en permanence sur lui-même, en une infinité de rétroactions continues.
  • Ce que nous appelons « événement » n’est en général qu’une péripétie dans ces processus continus, péripétie ayant retenu notre attention parce que revêtant pour nous une importance subjective.
  • Ces événements ne sont d’ailleurs le plus souvent que des discontinuités dans les phénomènes, accidents contingents provoqués par les non-homogénéités de notre environnement.
  • Chaque « événement » ainsi retenu émerge en fait de situations complexes jamais analogues et ses frontières physiques et temporelles sont relativement indéfinies. De ce fait, aucun « événement », même similaire n’est identique. On ne peut donc parler de régularités parfaites et en déduire des lois de prédictibilité absolues.
  • Le concept de causalité suppose une succession temporelle, la cause étant suivie de l’effet, ce qui ne correspond pas à la réalité des phénomènes physiques (cf. la pesanteur par rapport à la chute de la pomme).
  • Le concept de causalité est un anthropomorphisme : en fournissant des « parce que » répondant à des « pourquoi » (voire à des « pour quoi ») il fait inconsciemment l’analogie entre cause naturelle et volition (action volontaire) humaine. Son explication des phénomènes sous la forme d’intentionnalités, de raisons, attribue ainsi une signification, voire un sens, forcément subjectifs, à la Nature (comme lorsqu’on dit que le pommier fait des pommes pour se reproduire). La notion de cause est animiste.
  • Cela entraîne notamment une dissymétrie entre éléments actifs (ceux de la cause) et éléments passifs (ceux de l’effet) qui n’a aucune réalité comme le montre par exemple l’examen des forces physiques à œuvre au niveau de la matière et que rappelle volontiers le mathématicien Cédric Villani en déclarant malicieusement :

Nous savons que la matière interagit en échangeant des photons mais personne ne peut dire dans quel sens !

Cédric Villani

Les dégâts du principe de causalité

Ne pas prendre en compte la vérité globale de l’interaction des phénomènes ne peut que conduire à des décisions pour le moins suboptimales et le plus souvent néfastes. C’est le cas lorsqu’on ne considère que les apparences immédiates de supposées relations de cause à effet. Le principe de causalité est ainsi à la source de nombreux biais cognitifs. Nous en évoquerons ici trois :

« C’est lui qui a commencé ! » – Le biais d’attribution causale à la recherche d’un coupable

Enfants se disputant

« … c’est lui qui a commencé !
— il m’a traité de chieur !
— il ne veut pas me prêter son jouet !
— non ! il casse tout !…

Les parents connaissent bien ce type de récriminations des deux gosses qui viennent de s’accrocher. Et, bien avisés, ils évitent d’entrer dans leur jeu et de prendre parti sur le seul différent présent en cherchant une quelconque cause, une quelconque responsabilité. Ils savent qu’il ne s’agit là que d’une des péripéties d’un phénomène à long terme, celui de la construction d’une relation où chacun des enfants cherche à renforcer sa position. Et ils savent aussi que c’est sur la base de la construction globale du type de relation souhaitée pour leurs enfants qu’ils doivent éventuellement intervenir.

Nous avons vu que le principe de causalité constituait en fait un anthropomorphisme, la notion de cause s’identifiant à la volition humaine, ou à l’attribution animiste plus ou moins consciente d’une telle volition aux phénomènes naturels. Aux événements négatifs particulièrement, on cherche une intention, une raison, une culpabilité.

Plusieurs phénomènes font de cette attribution un biais cognitif :

  • Chaque individu acquiert par ses expériences de vie des schèmes mentaux et notamment des schèmes de causalité (voir Attribution causale — Wikipédia (wikipedia.org)) qui permettent d’éviter une analyse exhaustive des données. Ces schèmes sont un ensemble de croyances que nous avons et qui concernent la façon dont la combinaison de causes produit certains effets. Ils sont extrêmement simplificateurs.
  • Ces schèmes de causalité comportent également un certain nombre de clichés culturels. Cela conduit entre autres à des interprétations sur les motivations supposées des agents et à la stigmatisation des individus et des groupes sociaux, les corrélations entre les effets et les supposées causes n’étant répertoriées qu’à travers le filtre de ces clichés. C’est le biais de confirmation qui ne fait prendre en compte que les données confirmant les croyances.
  • Nous nous trouvons en présence de la rencontre entre deux croyances pourtant antagonistes, celle dans le Principe de causalité affirmant que tout effet a une cause, et celle dans le Libre-arbitre prétendant que l’individu peut se déterminer sans cause extérieure. Cette conjonction interrompt la chaîne causale au niveau de l’individu lequel devient seul responsable, les autres éléments, les intervenants extérieurs, les conjonctions de circonstances, le hasard, etc. n’étant dès lors pas considérés.

Cette simplification abusive travestit la Réalité, ce qui n’est jamais positif.

(Notons au passage le rôle des avocats, ceux de la défense comme ceux de la partie civile ou de l’accusation, consistant dans un procès à soulever toutes les circonstances de l’affaire jugée afin de faire apparaître et prendre en compte toute la réalité dans sa complexité).

Une des plus fréquentes sources d’erreurs politiques est d’attribuer à des causes uniques des événements issus de causes nombreuses et compliquées.

Gustave Le Bon (1841-1931) – Les incertitudes de l’heure présente (1923)

« Il n’y a pas de fumée sans feu » – Le biais de corrélation illusoire, manipulatrice

Il est vital pour toutes les espèces de saisir les corrélations entre événements afin de les anticiper. Le biais de corrélation illusoire porte à imaginer des liens de causalité lorsque deux facteurs fluctuent dans la même direction.

Or ces corrélations sont trompeuses et la plupart d’entre elles sont le simple fait du hasard.

Les figures suivantes donnent deux exemples de ce type de corrélations illusoires. Elles sont extraites du site Spurious correlations qui présente pas moins de 30 000 fausses corrélations de cet ordre.

Le Pr. Jean-Paul Delahaye l’explique dans cet article du Monde : Coïncidences surprenantes, mais banales en utilisant l’exemple de formes géométriques.

Plus une configuration est simple et plus sa fréquence d’apparition est grande. Ainsi nous rencontrons en nombre dans la nature des cercles, des sphères, des cylindres, des lignes droites, des plans, etc. sans que par conséquent nous n’attribuions aux structures qui les portent un quelconque lien de corrélation. Par contre plus une structure est complexe et plus elle est rare. Et donc si nous rencontrons deux phénomènes présentant une telle structure complexe et rare, notre tendance naturelle sera de considérer que ceci ne peut pas être le fait du hasard mais le résultat d’une corrélation entre ces deux phénomènes.

Or il s’agit là d’un biais de raisonnement à plusieurs titres :

  • même si une configuration est complexe et rare, sa probabilité d’apparition est multipliée par le nombre d’observations et d’observateurs ;
  • nombreuses sont les configurations qui tout en paraissant complexes à nos yeux ne le sont pourtant pas comme par exemple les structures fractales, très courantes dans la Nature ;
  • il est donc toujours possible en traitant un nombre considérable de données de trouver de soi-disant corrélations parmi les plus improbables comme l’a fait Tyler Vigen sur son site Spurious correlations (ce dont ne se privent pas nombre de manipulateurs complotistes).

Nous avons à dessein choisi ici des exemples dont l’association prêterait à rire tout esprit sensé. C’est cependant ce type de corrélation illusoire entre la vaccination et l’autisme qui a fait émerger et alimente toujours, malgré les nombreuses contre-expérimentations scientifiques, le mouvement antivaccins. Aidé en cela par le complotisme ambiant que nous allons aborder maintenant.

« ON m’en veut » – Le biais d’intentionnalité du complotisme

Leur anthropomorphisation du Monde pousse les humains à attribuer à des actions volontaires les causes des événements qui les atteignent. C’est là ce que l’on appelle le biais d’intentionnalité qui nous porte à croire qu’il y a forcément des intentions, souvent négatives, derrière tout ce qui nous arrive. On ne manquera d’ailleurs pas de noter que chacun aura tendance à attribuer à soi-même les causes des événements favorables et au contraire à attribuer à quelque agent externe les causes des événements néfastes.

On notera d’ailleurs également que si les effets sont la plupart du temps bel et bien observables, il n’en est généralement rien des causes, lesquelles sont invisibles – masquées – et supputées à partir de soupçons d’intérêts. Et pour cause ! serions nous tentés de dire, puisque les dits effets ne seront jamais que des péripéties de l’interaction continue dans le temps des phénomènes et que leurs causes supposées n’existent tout simplement pas. C’est comme si l’on soupçonnait quelque présence invisible d’avoir subrepticement fait tomber de l’arbre pendant la nuit, la pomme que nous convoitions la veille. « On m’en veut ! » est la réflexion commune, vide de réalité en fait.

D’où l’émergence du complotisme consistant à attribuer à un événement négatif une cause intentionnelle mais invisible car tout simplement inexistante.

Hier la cause supposée des mésaventures était imputée aux dieux. Aujourd’hui les lobbys, les puissants, les élites, les médias, etc. ont pris leur place. On pourrait dire que de tous temps les humains ont été complotistes face à ce qu’ils ne comprenaient pas. Avec la sécularisation des sociétés, le complotisme contemporain a simplement pris la place du complotisme divin.

Une croyance comme une autre me dira-t-on. Sauf que le complotisme contemporain divise la société et qu’il fait le lit du populisme ouvrant la voie aux démocratures.

Conclusion : se prémunir de l’obésité et construire notre cognition par la Science sur des « comment »

Il est des fonctionnements légués par l’évolution naturelle qui se sont avérés utiles sinon nécessaires pour la survie de l’espèce humaine pendant des centaines de milliers d’années et qui se révèlent pourtant aujourd’hui catastrophiques. C’est par exemple le cas de notre appétence pour le sucre, indispensable carburant de notre cerveau très consommateur et de nos muscles. Denrée rare pour nos ancêtres chasseurs cueilleurs, devenue aujourd’hui courante, elle fait de nous des obèses. C’est également de cas de notre capacité naturelle à construire rapidement des corrélations simples entre événements. Vitale pour nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, utile sous forme de causalités pour la collaboration sociale des premières sociétés, elle est devenue aujourd’hui, avec l’explosion des informations les plus contradictoires, un handicap dans le développement général d’une intelligence collective.

Et donc, de la même façon que nous adoptons des comportements alimentaires qui contredisent nos pulsions mais nous maintiennent en bonne santé, il nous faut adopter des comportements cognitifs qui contredisent nos intuitions mais s’appuient sur le savoir scientifique.

Cela signifie que, certes nous pouvons nous appuyer dans un premier temps sur nos heuristiques de jugement automatiques et rapides basées sur la détection des régularités et des corrélations pour les situations demandant une réponse rapide. Mais qu’il nous faudra ensuite, lorsque le sujet en justifie l’effort et rejetant la tentation naturelle et facile, de l’attribution de causalités, faire le travail d’une analyse globale de l’évolution des phénomènes en nous appuyant sur le savoir scientifique, dans tous les domaines (physique, biologique, social…). Et ne pas oublier que toute connaissance est incomplète !

J’ai pour cela une stratégie personnelle, calquée sur l’exemple scientifique : elle consiste à bannir autant que possible de mon vocabulaire les « pourquoi » pour les remplacer par des « comment », et ceci autant dans les questions que dans les réponses.

Il sera certes impossible d’écarter totalement un principe de causalité qui règle des valeurs, fondamentales dans nos sociétés que sont celles de la responsabilité et du droit, et qui est omniprésent dans tout notre langage. Mais examiner les phénomènes d’un point de vue holistique et dans leur durée, et ne pas confondre corrélation ou coïncidence et causalité, rapprochera immanquablement de la Réalité.

Et étonnamment, cela passera également par la déconstruction de l’opposé de la causalité, le libre-arbitre, source de « pourquoi » et même de « pour quoi », confirmant ainsi que toute notion ne tient que par l’équilibre d’un couple dialectique.

2 réflexions sur “En finir avec le Causalisme

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