Masaï dans la savane africaine guettant des antilopes

Corps-cerveau-environnement

Sommaire

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Le cerveau au service du corps

Le déterminisme de tout organisme vivant depuis les êtres unicellulaires les plus simples jusqu’aux hominidés est sa survie et sa reproduction (le fameux « conatus » de Spinoza). Il est pour cela doté de fonctions régulant son équilibre biologique interne (son homéostasie) à partir des apports de son environnement. L’apparition, au fil de l’évolution des espèces, d’un système nerveux puis d’un cerveau et enfin d’un cortex cérébral permet de s’adapter à des tâches de plus en plus complexes : répondre aux variations de l’environnement, se déplacer, échapper aux prédateurs, chasser pour se nourrir, collaborer avec ses semblables, etc.
Dans la logique de l’évolution le cerveau est au service du corps et non l’inverse

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L’analogie forestière

Se frayer un chemin dans la jungle
Se frayer un chemin dans la jungle

Une forêt vierge. Au début, pour se rendre en un lieu quelconque, il faut batailler contre branches, arbres et buissons et se frayer un chemin. Le passage est ardu. Ceux qui tenteraient de rejoindre les mêmes lieux quelques heures après, ne prendraient pas forcément le même chemin, et batailleraient tout autant.

Cependant, au fur et à mesure que des personnes se rendent sur ces lieux, leurs traces deviennent plus visibles : branches cassées, herbe et petits buissons aplatis… et la marche y est moins entravée. Une personne souhaitant traverser la forêt aura plus de facilité si elle suit les traces de ses prédécesseurs et ces traces seront donc plus souvent empruntées.

Jusqu’à ce que finalement, un petit sentier émerge des passages successifs. Dès lors, les personnes qui se rendront sur les mêmes lieux auront tout intérêt à suivre le sentier, même s’il n’est pas en ligne droite, plutôt que de traverser la forêt. Elles suivront ainsi la ligne de moindre résistance.

Par contre, les autres traces et passages qui seront ainsi peu à peu délaissés s’effaceront progressivement, la forêt reprenant sa place.

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La forêt neuronale

Cellules corticales humaines
Cellules corticales humaines

Notre cerveau est une structure hyper-câblée d’environ 85 milliards de neurones arborescents, aux branches (dendrites) entremêlées et connectées aux branches voisines par les synapses, sortes de portes chimiques entre neurones. Chaque neurone en possède jusqu’à 10 000 soit au total près de 1 million de milliards de connexions. Une immense forêt particulièrement dense et inextricable.

Cette forêt neuronale est si intimement reliée à chaque organe, à chaque petit muscle, à chaque capteur sensoriel du corps que les neurobiologistes parlent de corps-cerveau. Elle reçoit en permanence les signaux émanant de nos capteurs sensitifs et génère les signaux commandant nos muscles et régulant nos organes.

Au départ de notre vie (avant même notre naissance) nos neurones sont (dés-)organisés en paquets reliés les uns aux autres sans la moindre ébauche de structure au niveau local (le cerveau est quand même structuré en régions, aires, faisceaux, etc…). La forêt neuronale est vierge.

Lorsqu’un neurone est stimulé et qu’il stimule à son tour d’autres neurones, l’ensemble se renforce, et devient plus « clair », frayant un passage dans la forêt neuronale. Un message nouveau en amont, aura alors une probabilité plus élevée de suivre le même chemin, jusqu’à ce que finalement, les connexions avec les autres neurones s’affaiblissent, parfois au point de dégénérer (donc, de couper la possibilité de transmission). Tel un sentier forestier, seul le chemin le plus utilisé sera fort, clair, précis et rapide.

Il y a une analogie directe entre les sentiers forestiers et les circuits neuronaux, dans la manière dont ils sont frayés et accentués ou oubliés jusqu’à s’effacer, par les expériences de vie.

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L’émergence de la cognition

La cognition est l’ensemble des processus mentaux qui se rapportent à la fonction de connaissance et mettent en jeu la mémoire, le langage, le raisonnement, l’apprentissage, l’intelligence, la résolution de problème, la prise de décision, la perception ou l’attention.

Wikipédia – Cognition

Imaginons maintenant toute une population parcourant notre forêt du début pour satisfaire ses besoins divers. Elle finira par créer tout un réseau de chemins plus ou moins praticables. La forêt, la faune, la flore vont également interagir avec la population à travers ce réseau : certaines plantes trop utilisées ou piétinées vont disparaitre à proximité des cheminements alors que d’autres vont au contraire voir leurs graines mieux disséminées et se répandre ; la faune sera également touchée certaines espèces s’éloignant ou, parce que trop prédatées, diminuant, alors que d’autres plus avantagées prolifèreront. Et les activités de la population à leur tour évolueront pour s’adapter à ces changements ou profiter de nouvelles opportunités. Ce réseau forestier traduira de fait les intérêts et les activités de cette population ainsi que leur variation. Il sera le témoin matérialisé de l’histoire de cette population, de sa mémoire. Il prendra une signification particulière pour cette population qui le verra, de manière subjective, comme son « milieu de vie ». Et en même temps, ce réseau aura lui même en retour formaté les modes de vie et les intérêts de cette population.

Focalisons à présent notre regard sur le corps-cerveau de l’un de ces habitants de notre forêt, interagissant en permanence avec son « milieu de vie »… Comme décrit précédemment, les perceptions sensorimotrices continues, issues de cette interaction, stimulent l’établissement et le renforcement des connexions neuronales. Et comme pour les sentiers de notre forêt, le résultat est un réseau complexe de chemins neuronaux plus ou moins passants, en constante évolution. Ce réseau matérialise l’histoire de l’individu. Il est donc unique à chaque individu. Il est l’inscription de ses connaissances, de ses comportements, de ses habiletés, de ses automatismes,… bref il constitue sa cognition.

On voit que le fonctionnement du cerveau n’est pas celui d’un ordinateur classique muni d’un programme algorithmique de calcul et d’une mémoire contenant les informations traitées (modèle computationnaliste). Le cerveau, lui, fonctionne suivant le mode connexionniste : c’est le câblage des réseaux de neurones par les expériences de vie qui, à la fois, détermine la transformation des signaux de perception en signaux de commande et constitue la mémorisation du vécu.

Il est difficile d’imaginer de la cognition au niveau élémentaire : on n’y voit rien que de la tuyauterie de différents calibres ! La cognition est en fait une propriété émergente de l’extrême complexité des réseaux neuronaux et de leur auto-organisation en groupements de neurones hiérarchisés, spécialisés, et néanmoins interconnectés (cartes neuronales.) [Tout comme la Vie est une propriété émergente de l’extrême complexité du milliard d’atomes de la molécule ADN.]

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La cognition située

La cognition de chacun des habitants de notre forêt du début va retracer toutes les expériences de vie de cet habitant, tous les chemins et sentiers de la forêt qu’il parcourt, la connaissance de la faune et de la flore aux abords de ces sentiers, etc. Bref sa cognition, c’est à dire la programmation de ses sentiers neuronaux va se calquer sur celle de son milieu de vie et évoluer avec celui-ci.

Chaque espèce a donc son milieu de vie lequel se modifie sous son action ou sous l’action d’autres éléments, ce qui entraîne en retour une adaptation de l’espèce. Le milieu de vie et l’organisme se co-déterminent donc l’un l’autre et le réseau neuronal de chaque individu matérialise également son milieu de vie. Ainsi se construit la cognition au niveau de l’individu (ontogenèse), de l’espèce (évolution), ou des structures sociales (culture).

Et en même temps les autres espèces font partie du milieu de vie de la première, soit parce qu’elles constituent pour elle des proies, soit parce qu’elles en sont des prédateurs, soit parce qu’elles sont des concurrentes ou qu’au contraire elles sont en symbiose avec elle,… La cognition des espèces se construit donc également l’une par rapport aux autres.

Dans « Sapiens – Une brève histoire de l’Humanité », Yuval Noah Harari suggère malicieusement que c’est le blé qui a colonisé l’humain et non l’inverse : en transformant de libres chasseurs-cueilleurs en esclaves agriculteurs, cette graminée, initialement sporadique, a pu envahir la planète entière.

Il y a donc une totale bijection évolutive entre les cognitions des organismes vivants et entre ces cognitions et l’environnement. Les cogniticiens parlent de cognition située. Cette notion pose le principe que le savoir est inséparable de l’action et de son contexte.

Deux organismes en action-réaction-interaction luttant pour leur survie.
Deux organismes en interaction perfectionnant leur cognition.

L’humain a considérablement transformé son milieu de vie, a tel point que l’on parle aujourd’hui d’anthropocène. Sa cognition, c’est à dire ses connaissances, son mode de pensée, ses capacités physiques et intellectuelles, sa perception, son intelligence,… sont aujourd’hui formatés par cet environnement subjectif et objectif.

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La cognition incarnée

L’objet de notre esprit est le corps et rien d’autre.

Baruch Spinoza – l’ Ethique

Dans la logique de l’évolution, le cerveau, nous l’avons dit, est au service du corps. Il est étroitement interconnecté à ce corps par un réseau nerveux serré mais également par un réseau hormonal diversifié. Ses échanges sensorimoteurs se font par et pour le corps.

En 1994, António Damásio, universitaire et chercheur en neurosciences, publie « L’Erreur de Descartes – La raison des émotions » ouvrant un nouveau paradigme dans lequel se sont engouffrées depuis, les neurosciences cognitives. En se basant sur des observations cliniques, António Damásio démontre l’indissociabilité de la pensée et du corps, de la conscience et des émotions.

Note : Ce que António Damásio appelle émotions sont des manifestations somatiques inconscientes objectives (une sécrétion de testostérone, d’ocytocine, de dopamine, d’adrénaline… par exemple) qu’il distingue du ressenti conscient subjectif (colère, empathie, bien-être, stress, peur, faim, froid,…) auquel ces émotions peuvent donner lieu.

Lors de tout événement vécu, comme par exemple un entretien, le cerveau va enregistrer en permanence tous les éléments relatifs à cette circonstance : la voix de l’interlocuteur, son visage, son nom, les bruits alentour, l’odeur du café, ce sucrier si particulier sur la table ou cette poignée de fenêtre,… ainsi que les émotions et ressentis de l’expérience, ce que Damasio appelle « les marqueurs somatiques » de l’événement. Tous ces éléments vont être enregistrés dans des zones différentes spécialisées réparties dans le cerveau (zone visuelle, olfactive, sémantique, …) où ils seront reliés par une « carte neurale » de l’événement (l’équivalent du mot-clé permettant de connecter et « tirer » plusieurs données réparties dans une mémoire d’ordinateur). Si quelque temps après, le nom de votre interlocuteur s’affiche sur votre téléphone, le cerveau tirera les cartes neurales relatives à ce nom, dont celle de l’entretien, et les mixera ensemble. Vous revivrez alors par exemple l’entretien avec les émotions et ressentis du moment. Suivant que ces derniers seront positifs ou négatifs, vous aurez tendance ou pas à répondre à l’appel téléphonique.

Ainsi notre cerveau conserve des traces somatiques de ce que nous vivons et les réactive suivant le contexte pour, notamment, aider à éliminer les choix qui pourraient, sur la base de l’expérience, s’avérer préjudiciables. Ce processus, automatique, peut se réaliser à notre insu (lorsque nous décidons sans trop savoir pourquoi, sur la base de l’intuition), ou engendrer des sensations qui attireront notre attention consciente.

Beaucoup de chercheurs en sont venus à considérer qu’il ne pouvait y avoir de cognition sans marqueurs somatiques ; qu’on ne pouvait pas comprendre la cognition si on l’abstrayait de l’organisme inséré dans une situation particulière avec une configuration particulière. On parle de cognition incarnée.

Même nos connaissances les plus abstraites sont en fait construites sur des analogies concrètes. Elles ne pourraient avoir de signification pour nous, et par conséquent être mémorisées, si elles n’étaient marquées somatiquement. ( Ce qui veut également dire que toute signification est subjective ; mais ceci est une autre histoire.)

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L’énaction

Il existe donc une interaction étroite corps-cerveau-environnement. C’est cette interaction qui construit la cognition des individus au fur et à mesure de leurs expériences de vie lesquelles vont venir à la fois s’inscrire dans les circuits neuronaux, transformer le corps et modifier l’environnement. Les cogniticiens parlent de cognition incarnée située (Wikipédia – Embodiment) : notre cognition est inscrite dans notre cerveau ET dans notre corps ET sur l’environnement que nous transformons et qui nous transforme par la même occasion.

Du point de vue de la cognition il nous faut donc considérer cet environnement (physique, organique, social,…) comme une extension de notre corps-cerveau sur laquelle interfèrent de la même manière les autres phénomènes externes parmi lesquels les autres corps-cerveaux. Cette interaction participe collectivement à la cognition des autres organismes et à leur évolution. Notre cognition est liée à celle du vivant. C’est le concept d’énaction.

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L’analogie, cœur de la pensée

Notre cognition est donc en construction perpétuelle. Pour autant elle se construit sur l’existant, à partir de l’existant. Il n’y a pas de réinitialisation. Notre cognition se développe comme un arbre dans lequel on retrouve chez le sujet âgé l’architecture des racines et des branches de ses différentes étapes de développement depuis le jeune plant.

La conséquence est que nous vivons nos expériences de vie à travers le filtre de notre cognition. Nous apprenons et raisonnons par analogie avec ce que nous savons déjà comme l’ont démontré avec une quantité considérable d’exemples Douglas Hofstadter, professeur de sciences cognitives, et Emmanuel Sander, professeur de psychologie, dans leur ouvrage commun « L’Analogie. Cœur de la pensée ». Et nous ne pouvons acquérir que des capacités cognitives qui soient en résonnance cognitive avec ce que nous sommes déjà.

En cas de dissonance cognitive différents subterfuges inconscients sont mis en oeuvre pour réduire les tensions résultant des contradictions entre systèmes de pensées, croyances, émotions, attitudes, cognitions, comportements… Voir cet article Wikipédia – Dissonance cognitive pour plus de détails.

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L’irruption de la conscience

Le cerveau reçoit en permanence une multitude de stimuli sensorimoteurs qui adressent de nombreux processus simultanés (parallèles), indépendants, automatiques et inconscients. Ces processus activent chacun des zones neuronales plus ou moins limitées et spécialisées, utilisant des circuits neuronaux bien établis. Pour être inconscients ces processus n’en sont pas moins effectifs : ce sont eux par exemple que nous mettons couramment en oeuvre lorsque nous effectuons des tâches routinières en pensant à tout autre chose. Nous pourrions d’ailleurs les appeler « routines » pour le double sens de « habitudes » et de « programmes informatiques » que recouvre habituellement ce mot.

Peuvent survenir cependant des situations inhabituelles, mal maîtrisées ou inconnues, non ou incomplètement programmées. C’est ici que peut intervenir cette possibilité supplémentaire apparue ultimement dans l’évolution des espèces et notamment dans sa version la plus perfectionnée chez l’homo sapiens : la conscience.

A chaque instant, l’un des processus cérébraux en cours fait l’objet d’une attention particulière et devient conscient. Il va alors activer de vastes zones neuronales et pouvoir accéder à des ressources cognitives de haut niveau supplémentaires telles que les fonctions réflexives, la mémoire autobiographique, les réseaux sémantiques représentant notre connaissance du monde, la mémoire déclarative des croyances et des faits, la mémoire implicite qui gère les attitudes, les compétences et l’interaction sociale,… Cela se traduit sur l’imagerie cérébrale par une large illumination du cortex cérébral.

L’activité cérébrale – Modélisation 3D en temps réel à partir d’imageries cérébrales EEG par les chercheurs du projet Glass Brain de l’Université de Californie à San Diego. Chaque couleur représente les différentes ondes cérébrales : ondes gamma, alpha, beta, etc.
Sous le projecteur
La conscience est le projecteur de poursuite mettant en lumière l’un des acteurs

La conscience ne traite qu’un processus à la fois, celui faisant l’objet de son attention. Celle-ci peut être attirée par le traitement d’alarmes externes comme lorsque votre nom est prononcé dans le hall d’une gare, par la survenue d’une difficulté dans un processus routinier comme lorsque conduisant sur un trajet habituel en pensant à autre chose un obstacle inattendu se présente, par la volonté d’un processus conscient comme lorsque vous voulez vous concentrer sur une tâche de réflexion… Le langage commun parle d’ailleurs de « prise de conscience ».

On conçoit que, comparés aux processus inconscients automatiques traités en parallèle et utilisant des routes bien établies, les processus conscients traités en série soient beaucoup plus longs, laborieux, voire parfois maladroits lorsqu’en mode apprentissage il faut défricher de nouveaux sentiers dans la forêt neuronale. Ils permettent en fait, sur un parcours non balisé ou en cas de difficulté inhabituelle, par l’appel à des ressources cognitives supplémentaires, de trouver par analogie des déviations par des chemins de traverse élaborés dans d’autres circonstances.

A chaque instant l’attention de la conscience peut abandonner un processus et se porter sur un autre dont le stimuli est plus signifiant par rapport aux intérêts vitaux de l’individu. On peut dire qu’il y a compétition de certains processus pour attirer cette attention lorsqu’ils doivent accéder aux ressources cognitives supplémentaires.

Le flux de pensées devant un tableau de Braque vu par The New Yorker.
Le flux de pensées devant un tableau de Braque.

C’est ainsi que la majeure partie du temps et en l’absence d’événement majeur, notre conscience est un flux incessant d’images, de rêveries, de pensées, mêlant sujets graves et futiles, réflexions volontaires et digressions au hasard de perceptions fugitives, de liens improbables, de remémorations inattendues. Flux intime et auquel nous ne prêtons guère attention : nous continuons à vaquer à nos occupations en mode automatique.
C’est le « mode par défaut » du cerveau appelé rêverie dans le langage courant. Il est une modification de l’état de veille d’un individu sous la forme d’un détachement mental momentané de son environnement réel immédiat (une sorte de « rêve éveillé ».)

Il faut cependant se rendre compte que, même lors de nos comportements conscients, nos actions et nos pensées sont déterminées par nos sentiers neuronaux auto-programmés par notre vécu. Nos actions n’arrivent à la conscience qu’avec un délai de 300 msec après le début de leur initiation automatique.

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Conscience et cognition

Si le fonctionnement inconscient, par sa simultanéité et son automaticité, est extrêmement rapide et efficace, il n’est pas pour autant optimum : les circuits neuronaux se sont organisés – bricolés – au fil des hasards du vécu. Ils peuvent très bien dans certaines circonstances donner des réponses anormales voire néfastes. Ce seront par exemple nos mauvais apprentissages, nos mauvaises habitudes, nos biais cognitifs, nos cercles vicieux… Et c’est là qu’interviennent les capacités de correction par la conscience, probablement spécifiques à l’homo sapiens, dont nous allons parler maintenant.

Nous avons vu que nos capacités cognitives, nos comportements, nos pensées, etc. étaient programmés par nos expériences de vie traçant des sentiers dans la forêt neuronale. La conscience de l’homo sapiens y ajoute la faculté de vivre des expériences virtuelles dans sa tête, en mode « off line » (en différé), en variant les scénarios, sans être pressé par la réalité et donc en faisant intervenir les fonctions cognitives de haut niveau, telles que les fonctions réflexives, de comparaison, de logique, etc. Cette vie « off line » s’accompagnera des mêmes marqueurs somatiques que la « vraie vie » : l’évocation de situations de danger par exemple entraînera les mêmes émotions et ressenti, augmentation du rythme cardiaque et crispation des abdominaux, qu’une situation réelle. Et donc ces expériences de vie virtuelle « off line » vont également programmer les chemins neuronaux et permettre d’en accumuler, modifier, corriger, les acquis cognitifs, mais à peu de frais.
Une sorte d’entraînement ou de répétition avant ou après l’action.

Concentration de l'athlète
Visualiser l’action avant de s’élancer.

Dans le cas d’une situation future, cela permettra de tracer à l’avance des chemins neuronaux préférentiels qui seront empruntés automatiquement et inconsciemment, et donc efficacement, au moment de l’action. C’est ce que font par exemple les athlètes lorsque, se concentrant, ils visualisent leur parcours avant de se lancer pour une exécution automatique des plus efficaces. C’est ce que chacun fait lorsqu’il tourne dans sa tête les possibles échanges avant un rendez-vous important. Ou ce que font l’artisan, l’ouvrier ou le bricoleur lorsqu’ils imaginent les manipulations nécessaires avant d’exécuter une construction inhabituelle.

Dans le cas d’une expérience passée cela permet de modifier le programme d’un comportement s’étant révélé nocif en le rejouant sous d’autres scénarios. C’est ce que nous faisons tous lorsque nous ruminons une expérience dont nous sommes mécontents. La conscience transforme ainsi une expérience négative en apprentissage utile.

Notons aussi une autre utilisation essentielle de cette capacité de notre conscience à jouer ou à rejouer les situations dans notre tête : celle de la transmission entre humains. Les contes, l’histoire, la littérature, le cinéma, les arts en général, ont pour effet de faire vivre virtuellement des expériences communes, imaginées ou ayant eu lieu, et d’en éprouver les émotions et le ressenti. Ce qui aura pour effet de construire une culture commune.

Enfin nous avons également évoqué précédemment la rêverie, cette forme de vagabondage conscient. Dans le domaine de la psychologie cognitive, des études montrent que la rêverie, à l’instar des rêves, participe à la mémorisation et à la consolidation des apprentissages. La rêverie peut également permettre d’extérioriser un problème et d’atteindre un but. Une recherche par IRM montre que les zones cérébrales associées à des difficultés à résoudre des problèmes s’activent lors d’épisodes de rêverie

Pour autant cette anticipation ou remémoration par la conscience ne fera pas revenir à la forêt vierge du début. Les chemins précédemment tracés resteront là, au moins pour un temps. L’individu sera tel que la vie l’a déterminé et n’évoluera qu’à partir de là. On ne construit que sur l’existant.

C’est ce qui explique que l’on n’apprend que par analogie avec ce que l’on sait déjà comme nous le disent Douglas Hofstadter et Emmanuel Sander dans leur ouvrage commun « L’Analogie. Cœur de la pensée » déjà cité.

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Références

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