Les TINA-prescripteurs
- TINA : « There Is No Alternative ». C’était l’antienne de Margaret Thatcher, qui fut premier ministre britannique dans les années 1979-1990. Mais, aujourd’hui encore, ce sont les mêmes mots péremptoires que l’on vous assène régulièrement pour vous faire avaler quelque amère potion. Ce type d’affirmation ne vous convainc généralement pas… Et vous avez raison ! Car il y a TOUJOURS, non pas une, mais plusieurs alternatives, en fonction des risques ou pertes que vous accepterez de prendre. Et la première de ces alternatives serait par exemple de ne pas bouger et d’en accepter les pertes si, tous comptes faits, vous estimiez qu’elles seraient inférieures à celles que l’on essaye de vous faire avaler. Le TINA-prescripteur défend toujours un point de vue : le sien. Il négligera les autres possibilités, les descendra en flammes si vous les abordez.
Le fait de ne pas avoir prévu la crise de 2008 aurait dû invalider toutes les théories économiques du moment.
Il est relativement facile de résister à un TINA-Prescripteur externe. C’est une autre paire de manches lorsque ce TINA-prescripteur est en nous et qu’il utilise nos propres conditionnements, car nous n’avons pas toujours conscience de nos conditionnements internes. Or c’est contre notre TINA-prescripteur interne que nous allons devoir lutter dans les cas les plus désespérés (par exemple si nous voulons radicaliser nos changements d’habitudes face au péril climatique).
Il va nous falloir jouer à l’exorciste et ordonner : « TINA, sors de ce corps ! »
Le fonctionnement du cerveau, celui des humains comme celui des autres mammifères, est en grande partie automatique et inconscient. Il s’appuie sur des procédures innées – dites heuristiques de jugement – qui sont, non pas rationnelles (déductives), mais stochastiques, non pas séquentielles mais parallèles, ces deux caractéristiques permettant une grande rapidité de réaction. Ces heuristiques de jugement utilisent les données enregistrées en mémoire : nos expériences, et, pour ce qui concerne les humains, nos croyances ou nos connaissances.
La conscience chez les humains – ce que nous appelons ci-après la « salle d’examens de notre cerveau » – n’intervient que pour l’élément auquel, à l’instant, nous portons notre attention. Nous pouvons alors faire jouer notre rationalité. Celle-ci a l’inconvénient d’être beaucoup plus lente que les heuristiques de jugement, mais a l’avantage de pouvoir corriger les biais (erreurs) de jugement et surtout de pouvoir faire des choix.
Pour en savoir plus, voyez cette vidéo de la conférence du Professeur Stanislas Dehaene sur le thème « Décoder la conscience »
Se libérer de ses conditionnements
Le petit jeu qui suit va nous éclairer sur ce dont il s’agit :
- Essayez de réunir ces 9 points par une ligne brisée continue composée de 4 segments de droite contigus (sans lever le crayon).

- Cliquez ensuite sur l’image pour voir la solution. Elle est explicite.
C’est ce que l’on enseigne dans les cours de créativité, en management, en engineering ou autre : si vous n’avez pas d’idées, pas de solutions, pas de réponses à votre problème,… il faut sortir du cadre. Ce cadre, c’est celui des contraintes que l’on s’impose, le plus souvent de manière non consciente. Il bloque les possibles solutions non orthodoxes à la porte de la salle d’examens de votre cerveau – votre conscience – pour le seul délit de « sale gueule ».
Sortir du cadre implique donc d’en identifier les contraintes et de les amener à la conscience – la salle d’examens de notre cerveau. Ce n’est guère facile. Il faut fixer notre attention, faire appel à nos connaissances, et analyser comment se sont construites ces contraintes, ou, en d’autres mots, quelle est leur Histoire. Ceci permet de ramener nos croyances les plus intimes à ce qu’elles sont réellement : le fruit des hasards de l’Histoire. Cela permet également de les questionner le moins affectivement possible en les mettant psychologiquement à distance – la distance de l’analyse. –
Un autre rapport à l’Histoire
Il y faut également un autre rapport à l’Histoire.
On dit souvent que « l’Histoire est écrite par les vainqueurs ». Et de fait, l’Histoire type « roman national », trop souvent enseignée dans les écoles, a généralement pour but l’intégration de l’individu dans un collectif par la perfusion de croyances communes procurant une sentiment d’appartenance à un groupe. Elle ne nous sera par conséquent d’aucune utilité lorsqu’il s’agira d’interroger ces croyances sauf à se rappeler comment elles nous ont été injectées. Ce qui permet, par l’homogénéisation de la société, d’assurer la paix sociale (et, accessoirement, la mobilisation générale dans les périodes de guerre), est un frein à la créativité et à l’évolutivité !
Il n’est pas question non plus d’utiliser l’Histoire pour en tirer des leçons sur ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, et ainsi prédire l’avenir en extrapolant sur le passé. L’Histoire, en effet, n’est pas le roman linéaire, conséquent, logique, progressif, dépeint par la littérature historique romanesque. Les historiens savent combien elle est au contraire chaotique, aléatoire. Et les voies qu’elle a prises n’ont été, à chaque fois, que l’un des multiples embranchements possibles et le résultat d’événements insignifiants au regard des conséquences qu’ils ont entraîné. C’est pourquoi l’Histoire ne se renouvelle jamais. La théorie du chaos est applicable à l’Histoire comme aux autres sciences humaines, l’économie et la sociologie.
Il s’agit donc bien de prendre conscience de la chaîne des hasards qui a produit telle ou telle de nos croyances les plus ancrées.
L’utilité de l’Histoire n’est pas de prédire le futur mais de se libérer du passé.
L’exemple que nous donnons ci-après est volontairement anodin : relativiser nos croyances les plus ancrées peut faire peur. Même si ce ne serait que pour y apporter de menus correctifs (continuer à ne pas empiéter sur les marges sauf dans certains cas !) Mais j’ai le sentiment que la période actuelle va nous obliger à être beaucoup plus créatifs. Beaucoup plus. Aussi, depuis quelque temps, je m’intéresse beaucoup à l’Histoire. Celle des historiens scientifiques, ceux qui déconstruisent les mythes.
Yuval Noah Harari explique dans son livre « Homo Deus » – Albin Michel 2015 – l’intérêt de l’examen de l’Histoire en prenant l’exemple de l’histoire de la pelouse. La pelouse est née dans les châteaux des aristocrates français et anglais à la fin du Moyen Âge où elles constituaient un luxe inouï par la surface et les soins qu’elles exigeaient. Elles sont dès lors devenues symboles de puissance et de richesse. Les hommes en sont venus à associer une pelouse bien entretenue devant sa maison au statut social. Aujourd’hui, même au Qatar, en plein désert, les riches familles font pousser des pelouses. Et Yuval Noah Harari conclut ainsi :
« Lire cette brève histoire de la pelouse pourrait bien vous faire réfléchir à deux fois avant d’en ajouter une à la maison de vos rêves. Libre à vous de le faire, bien entendu. Mais vous êtes aussi libre de vous débarrasser de ce legs culturel des ducs, des nababs capitalistes et des Simpson, pour imaginer plutôt un jardin de pierre japonais ou une création entièrement nouvelle. Telle est la meilleure raison d’apprendre l’histoire : non pas pour prédire le futur, mais pour se libérer du passé et s’imaginer d’autres destinées. Bien entendu, cette liberté n’est pas totale : on est toujours façonné par le passé, mais une certaine liberté vaut mieux que rien. »