Populisme Coca-Cola

Débusquer le populisme

Alors même que le qualificatif de populiste est stigmatisant, partis et régimes populistes champignonnent dans le monde. Et, avançant masquées, les idées populistes viennent polluer des discours politiques démagogues de droite à gauche. D’aucuns voudraient même réhabiliter le populisme comme la noble lutte du “peuple” contre l’oppression. Mais le populisme est un poison mortel pour le peuple. Parce que l’Histoire des populismes est toujours tragique. Et parce que le populisme se construit sur des biais cognitifs : on ne bâtit pas le progrès humain sur des erreurs de perception et de raisonnement. Voici donc un petit viatique pour débusquer le populisme et ses biais cognitifs, là où il se cache, dans les discours animés des meilleures intentions apparentes.

Populisme : factuellement, qu’est-ce ?

On trouvera facilement des définitions, plus ou moins proches, plus ou moins commentées, et évoquant causes et intentions apparentes des mouvements populistes. Causes et intentions pouvant résulter de biais cognitifs, nous n’en parlerons pas tout de suite et proposons ici une définition uniquement basée sur le type d’action commune à tous les populismes :

Le populiste désigne des boucs émissaires afin de coaliser sous sa bannière “peuple”, des gens différents qui sinon ne penseraient pas pareil.

Les boucs émissaires seront des minorités facilement identifiables à la vindicte publique : les juifs, les noirs, les arabes, les musulmans, les riches, les intellectuels, les élites, les politiques, les médias, les bobos, les cathos, les immigrés, les migrants, etc. – suivant le cas. La liste n’est pas exhaustive et chacun pourra y ajouter les items émergeant suivant les moments, sans oublier de mettre les guillemets qu’il convient à chacun de ces items, si discutables, nous le verrons, dans leurs définitions et leurs contours.

Les biais cognitifs du populisme

L’humain fait rarement appel à ses capacités de raisonnement logique. La majorité du temps il utilise des formes de pensée intuitives, rapides et automatiques (les heuristiques de jugement) qui lui permettent d’économiser son énergie et de réagir rapidement. C’est le résultat des millions d’années de sélection naturelle des espèces pour la survie. Mais ce faisant, il est conduit, le plus souvent inconsciemment, à des erreurs de perception, de raisonnement, d’évaluation, d’interprétation logique, de jugement, d’attention etc., à des comportements ou à des décisions inadaptés. C’est ce que l’on appelle les biais cognitifs. Les biais cognitifs sont légion et on en trouvera quantité décrits sur le web. Nous allons nous contenter ici d’en signaler quelques uns parmi ceux opérant dans les populismes.

Le simplisme

Le monde est trop complexe pour nos cerveaux humains et l’homo-sapiens a développé des heuristiques de simplification sur lesquelles surfent les populismes.

Le populiste divise le monde en deux catégories adverses : nous, les “gentils” et eux, les “méchants”. Car pour pouvoir rassembler des gens qui sont forcément différents et ne pensent pas exactement pareil, il doit bien sûr gommer leur diversité et ne pas entrer dans les détails de la complexité réelle d’une population (biais cognitif de classement).

Chez les naturalistes, les tentatives de classement du règne animal a conduit à une multitude d’espèces, sous-espèces, familles, sous-familles, types, taxons, etc. en constante évolution. Classer la société humaine aboutirait au même. Par exemple, qui, précisément, désigne-t-on par “les riches” ? Quels sont les critères (revenu, capital,…) ? Quels sont les seuils de sélection pour chacun de ces critères ? Et, en interrogeant plusieurs personnes, on s’apercevrait que l’on est toujours le “riche” de quelqu’un. Se poser la question des critères et des valeurs de sélection permet de lever ces biais de classement.

Les autres biais populistes consistent ensuite à attribuer des caractéristiques et comportements types à ces catégories (biais de stéréotypage), à attribuer les caractéristiques particulières d’une personne au fait qu’elle appartienne à une catégorie alors qu’on peut trouver ces caractéristiques indépendamment ailleurs (illusion de corrélation) et à en déduire que toutes les personnes rangées dans cette catégorie possèdent également ces caractéristiques particulières décelées chez une personne (biais de représentativité).

Le populisme utilise pour cela les lieux communs de la pensée. Citons pour exemple ceux véhiculés par le film “La vie est un long fleuve tranquille”. Dans ce film, drôle mais extrêmement caricatural, est exprimée l’idée que “la haute bourgeoisie (la famille Duquesnoy dans le film) serait forcément catholique pratiquante et aurait de nombreux enfants”. Il peut y avoir une corrélation statistique entre l’appartenance à un groupe social, la pratique religieuse et le type de famille mais il y a biais de raisonnement dès qu’on remplace une probabilité par une certitude (biais cognitif de fréquence). Tous les riches ne votent pas à droite, tous les pauvres ne votent pas à gauche, tous les riches ne sont pas catholiques, tous les catholiques ne font pas beaucoup d’enfants, etc.

Les individus ne sont pas identifiables à leur catégorie sociale. On peut le détecter en cela : le populisme est un essentialisme.
Du “bon” côté de la barrière, la catégorie “peuple” est considérée par le populiste comme une catégorie homogène à laquelle, bien sûr, il appartient et à laquelle il attribue ses propres pensées, aspirations ou valeurs (biais de projection). Les relations de groupe (parti, journaux favoris, réseaux sociaux type Facebook où les “amis” pensent généralement pareil, sites préférentiels, etc… ) le confortent dans cette idée que les autres pensent comme lui (biais de faux consensus). Dès lors interviendra la tendance à penser et à agir comme les autres membres du groupe auquel il s’identifie (biais de conformisme).

L’affabulation

La simplification crée des manques détruisant la cohérence de l’ensemble. Or l’humain a besoin de sens pour agir. Il va donc compenser ces manques en créant lui même les éléments destinés à combler les vides. Et il le fera de manière à reconstituer une histoire qui lui fournira le sens qu’il recherche et dont il a besoin. On comprendra tout de suite que le résultat ne peut être qu’une construction plus ou moins personnelle, auto-complaisante et distante de la réalité. Ce sont ces biais cognitifs qu’utilise le populiste pour faire adhérer le supposé “peuple” à son grand récit.

Le populisme est victimaire.

Être victime permet 1) de grouper en une communauté défensive, 2) de justifier moralement haine et violence envers les boucs émissaires.

Plusieurs biais cognitifs entrent en jeu dans ce positionnement : se positionner dans une culture de victime (en l’occurrence celle du peuple victime et qui se révolte, racontée par tous les manuels d’Histoire – biais culturel ), se déresponsabiliser de ses échecs (biais d’auto complaisance), rechercher ce qui confirme sa pensée plutôt que se remettre en question (biais de confirmation), ne retenir que les expériences négatives (biais de négativité), etc.

Attention, il ne s’agit pas ici de nier le fait qu’il y ait des victimes dans toute société, mais 1) elles ne sont pas forcément victimes des mêmes choses et des mêmes bourreaux et 2) elles ne sont pas forcément toujours là où les populismes le pensent : une femme meurt tous les 2 ou 3 jours en France sous les coups de son conjoint et cela touche toutes les couches de la société. Ce dont il est question ici, ce n’est pas du statut de victime mais du positionnement psychologique en Victime (en Enfant Soumis selon le vocabulaire de l’Analyse Transactionnelle). Ce positionnement, le plus souvent inconscient, vise à en obtenir les bénéfices symboliques : la Victime est forcément innocente et a droit à compensations de toutes sortes. Il n’y a pas obligatoirement corrélation entre le statut de victime réelle (d’accidents ou d’agressions diverses) et le positionnement psychologique en Victime : toutes les victimes réelles ne se positionnent pas psychologiquement en Victimes et inversement, ces dernières ne sont pas toutes des victimes réelles sinon de leurs frustrations.

Le populisme est complotiste.

Car si le “peuple” est menacé et victime, c’est bien parce que les forces du mal se sont liguées contre lui. Le vocabulaire inventé pour désigner “le côté obscur de la force” a souvent un côté mélodramatique : le complot “judéo-maçonnique”, la “mouvance islamo-gauchiste”, la “finance internationale”, les “grandes puissances”, “Bruxelles”, le “lobby des grandes écoles”, les “partis”, le “système” – terme très mystérieux pouvant se décliner à l’infini avec forces tirets et désignations : le “système politico-médiatico-financier”, etc. – Dès que l’on entend ce type de vocabulaire emphatique une alarme “ALERTE POPULISME” devrait s’allumer dans nos cerveaux. Ce métalangage, qui se veut quelquefois savant, ressort en fait de plusieurs biais de raisonnement : tendance à surestimer la probabilité que deux événements distincts soient en réalité corrélés (biais de conjonction), tendance à attribuer la cause d’un évènement à une intention plutôt qu’au hasard (biais d’intentionnalité), être conforté dans son adhésion à une théorie par toutes les thèses vraies ou fausses allant dans le sens de cette théorie ( biais de simple exposition), rechercher les informations qui appuient ses croyances existantes plutôt que celles qui les invalident ( biais de confirmation d’hypothèse.) Voir à ce sujet cet article de Marina Maestrutti – Personne n’est à l’abri du complotisme – Le Monde diplomatique – juin 2015.

Le populisme surfe sur la haine.

Il ne le fait souvent pas de manière officielle directe, mais il libère la parole et l’action de ses militants les plus extrémistes. On ne peut que le constater par exemple sur les réseaux sociaux, où injures et mépris, le “bashing”, remplacent souvent l’échange d’idées : la rationalité n’est en effet pas de mise lorsque il s’agit de rassembler des gens qui sinon ne penseraient pas pareil. Par contre les sentiments irrationnels et incontrôlés de haine lient les individus dans une catharsis favorisant leur manipulation en tant que groupe moutonnier.

Populismes : une histoire toujours tragique

On pourrait penser que le populisme pourrait être un moyen de guider le “peuple” vers la révolution et sa libération. Nous laisserons chacun explorer l’Histoire, y compris la plus récente, d’un esprit critique. Nous prendrons un exemple plus lointain et moins controversé en évoquant simplement le destin du premier populisme historique, celui des populares – les populaires – qui marqua la République romaine, à partir du IIe siècle av. J.-C., en s’appuyant sur les revendications des couches les plus pauvres de la société romaine et des non-citoyens, en opposition aux optimates – les meilleurs – conservateurs. Le mouvement des populares tourna à la démagogie et au populisme et fut récupéré par des ambitieux, avec pour résultat une longue période de guerres civiles qui aboutirent in fine à la prise du pouvoir par Jules César, appuyé par le peuple, et à la fin de la République.

Comment s’en sortir ?

Le triangle de Karpman

L’Analyse Transactionnelle (analyse des interactions entre individus) nous fournit les outils. La machine du populisme – un “peuple” victime, un bouc-émissaire persécuteur et un leader charismatique sauveur – nous renvoie directement à la configuration du Triangle dramatique de Karpman.

Triangle de Karpman
Le Triangle Dramatique de Karpman

De quoi s’agit-il ? Dans un conflit entre deux ou plusieurs personnes, chacune d’elles a tendance à se placer dans l’une des trois positions de Victime, Persécuteur ou Sauveur et, éventuellement, d’en changer, chacune de ces positions procurant ses pseudo-bénéfices :

  • La Victime est, par définition, innocente. Elle peut en outre espérer faire changer l’attitude du Persécuteur ou obtenir l’aide du Sauveur
  • Le Persécuteur est droit dans ses bottes, sûr de son bon droit. Il profite de la Victime.
  • Le Sauveur gagne l’estime de la Victime et satisfait son ego.

Ces positions ne sont pas stables : les joueurs peuvent tourner. La victime peut devenir bourreau de son Persécuteur avec le bon droit moral que lui a donné son statut de victime. Le Sauveur peut à son tour devenir le bourreau de la Victime et du Persécuteur, ce dernier prenant alors le rôle de Sauveur pour une contre-révolution. C’est ce qui s’est passé dans toutes les révolutions de l’Histoire lorsque le Sauveur /leader charismatique est devenu… dictateur ! Le jeu peut tourner indéfiniment mais il est destructif pour les protagonistes. C’est pourtant ce qui se joue dans tous les conflits de par le monde.

Sortir du Triangle dramatique

Le populisme, on le voit, est un poison destructeur. Ce que nous enseigne l’Analyse Transactionnelle pour sortir de ce piège, c’est de prendre la position Adulte (au sens que donne à ce mot l’Analyse Transactionnelle) c’est à dire :

  • ne pas accuser, ne pas se plaindre, ne pas maudire, ne pas haïr, ne pas encenser, ne pas moraliser…
  • afficher clairement et ouvertement quels sont ses intérêts et ses volontés,  considérer ceux de son adversaire,
  • négocier ou se battre sur cette position.

Cela veut-il dire qu’il ne faudrait jamais laisser parler ses émotions ? Non, bien sûr : elles font partie du sel de la vie et nous n’y parviendrions pas car nous ne sommes pas construits ainsi. Cela veut simplement dire qu’il y a un temps pour tout et que ne pas se faire manipuler ou résoudre des problèmes supposent de faire marcher son raisonnement (sans biais cognitifs !)

2 réflexions sur “Débusquer le populisme

  1. Article oh combien toujours d’actualité… Sic.
    Mais comment expliquer que tous les populistes éludent le debat en refusant la contradiction ? Et comment gérer un populiste quand il devient violent face à un contradicteur ? Est-ce que la guerre civile est la seule option de cette « evolution ineluctable de la societe » ?

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    1. Ce sont (j’allais dire hélas !) LES dures questions actuelles.

      J’avais, en écrivant l’article, pensé aux méthodes de l’Analyse Transactionnelle (notamment le Triangle dramatique de Karman) que j’avais pratiquées avec succès dans ma vie professionnelle. Mais elles demandent un minimum de communication et de réflexion. Et il faut pour cela que les protagonistes se voient dans l’impasse. Tant qu’ils pensent pouvoir gagner, ils seront sûrs de leurs positions, ils resteront intraitables. L’effet de groupe joue également.

      Face à la violence la meilleure attitude est le calme et la parfaite neutralité. Ne pas contredire mais poser calmement des questions. Plus facile à dire qu’à faire… Mais j’ai vu certains le faire et y réussir.

      « L’évolution inéluctable de la société » va demander à tous une modification de nos paradigmes, de nos constructions sociales. Cela a commencé à se faire avec les nouvelles générations que les anciens ne comprennent plus. Le problème est la vitesse de changement : trop vite cela peut aboutir dans le pire des cas à la guerre civile, trop lentement notre société sera dépassée par l’évolution et les enjeux du monde. Croire que l’on peut s’abriter derrière des remparts est bien sûr une utopie. Et tous ne sauront /pourront évoluer à la même vitesse (c’est notamment le problème du gouffre entre les urbains mondialistes et les péri-urbains gilets jaunes). L’humain est prédéterminé par ses expériences de vie. Il ne peut changer aussi facilement (cf. l’article « Corps-cerveau-environnement » https://allsapiens.wordpress.com/2019/01/23/corps-cerveau-environnement/)

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